Est-ce que les planteurs et planteuses d’arbres ont le syndrome de Stockholm?

Portrait de l’industrie du treeplanting

Autrefois un moyen de vivre une vie respectable et digne, le treeplanting n’est plus qu’un lieu pour vivre un lifestyle contre-culturel entre vagabondes et vagabonds et entre étudiantes et étudiants cherchant une alternative au salaire minimum. Aujourd’hui, la possibilité de dépasser le seuil de la pauvreté n’est réservée qu’aux meilleur-es d’entre nous qui feront une très longue saison d’ouest en est du pays. Il n’y a pas de confusion possible. Les salaires n’ont pas augmenté depuis belle lurette. Lorsqu’on demande pourquoi, la réponse est toujours la même : il n’y a pas suffisamment d’argent, ou bien on se fait simplement dire de la fermer.

Les pratiques ultras compétitives de l’industrie sont à blâmer. Toutes ces années, les compagnies ont férocement maintenu leur part du marché au détriment de nos salaires. Elles laissent souvent sur la table plusieurs milliers de dollars pour gagner leur soumission. C’est-à-dire le montant d’argent qui sépare la soumission la plus basse de son plus proche compétiteur. Et si les autres compagnies qui paient au standard de l’industrie n’ont pas jugé possible de soumissionner aussi bas, alors où ont-ils coupé? Dans notre sécurité? Dans le budget de la cuisine? Dans nos salaires?

Dans tout cela, nous n’avons pas notre mot à dire. Il ne faut surtout pas donner notre opinion sur les pratiques de l’industrie ou celle de notre compagnie. La production doit continuer, mais la production pour qui? « Si t’es pas content, si t’es pas contente, trouve une autre job »… Une réalité qui se cristallise dans la figure du contremaître qui systématiquement demande des candidatures ayant « bonne attitude ».

Ils et elles ne veulent surtout plus nous entendre nous plaindre des salaires démesurément trop bas pour un travail démesurément trop difficile. Ils et elles ne veulent plus écouter nos plaintes, alors qu’ils et elles ne font rien pour nous. Et ne feront rien! Pourtant, qui paie le prix de leur irresponsabilité et de leur avarice sans fin? C’est nous, car nos salaires constituent les plus grands frais d’exploitation. Des salaires plus bas ça se traduit par plus de contrats et plus d’argent pour eux et elles. Mais, aussi par plus de précarité pour nous; plus de blessures parce que nous ressentons toujours plus de pression à performer pour nous assurer de payer notre loyer, notre nourriture, notre scolarité, nos loisirs… Dont les prix ne cessent d’augmenter chaque année! Mais le bal ne s’arrête pas là. Ils et elles « oublient » parfois d’inscrire nos heures de transport dans nos heures totales travaillées, nous intimident lorsqu’on veut prendre notre CSST (WCB), nous font travailler gratuitement lorsqu’il faut démonter et remonter le campement, laissent les douches à l’abandon, ne fournissent pas un budget suffisant à la cuisine… Et le comble, nous devons payer 25$ par jour pour chier dans les toilettes que nous avons, nous-mêmes, creusées.

Le syndrome de Stockholm

Mais, nous sommes aussi à blâmer. Car, pour chaque jour qui passe, nous continuons de danser sans jamais oser mettre notre pied à terr. Nous préférons regarder toute la journée nos camarades planter des arbres lorsqu’ils et elles ont une tendinite. Parfois même au point d’en avoir aux deux poignets. Nous ne voulons pas voir notre reflet en eux et elles, mais plutôt des compétiteurs et compétitrices. Lorsqu’une personne est forcée de travailler blessée, parce qu’intimidée ou parce qu’on lui refuse une forme de compensation, c’est nous tous et toutes qui payons le prix. Avez-vous déjà survécu une saison sans qu’il y ait de tendinites sur votre campement? Ça sera votre tour bientôt et vous n’aurez vraisemblablement aucune aide ou compensation. Si ça n’a pas déjà été le cas. C’est la blessure la plus fréquente, mais il y a aussi les infections par manque d’hygiène puisque les douches ne fonctionnent pas. Il y a les entorses lombaires et les chevilles foulées. Puis finalement, quand vient le temps de tirer notre révérence, il y a les tendinites chroniques et le genou défoncés. Parfois, c’est aussi les pneumonies qui se propagent ou on ne sait quel virus et les empoisonnements alimentaires. Sans compter le harcèlement et les agressions, entre nous et par le patronat, dont on ne parle jamais et qui pourtant sévissent chaque été.

Malgré tout cela, nous ne nous contentons pas d’observer avec indifférence notre agonie collective. Nous avons complètement adopté le discours de nos boss qui nous disent de toujours travailler plus fort. On se fait la compétition entre nous. On se met la pression entre nous. Plus besoins de police sur le campement, nous sommes notre propre police. Cette réalité, elle se retrouve dans la figure emblématique du highballer. Celui ou celle qui représente le plus haut degré de l’accomplissement de l’échelle sociale au treeplanting. Parfois, même des légendes se forment autour de ces figures. Et pourtant, la valeur de ces personnes ne se mesure que dans leur production et jamais dans leur individualité. Par effet antagonique, nous ne nous percevons qu’au travers du prisme de la production. Une réalité dont se réjouit le patronat.

Tout cela et nous trinquons sans problème avec nos boss. Nous leur assurons qu’ils et elles sont nos ami-es. Que l’expérience du treeplanting ne pourrait pas être la même sans eux et elles. Effectivement, elle serait bien mieux! Mais, je ne peux m’empêcher de ressentir un goût amer… ami-es? Comment pouvons-nous réconcilier amitié et maltraitance, si ce n’est que nous n’avons aucun respect pour nous même? Nous qui partageons les mêmes conditions, les mêmes problèmes. Nos boss ce sont des hypocrites. Cette relation d’amour-haine que nous développons avec notre emploi, elle n’est pas bien difficile à comprendre. Nous aimons la vie de camp, les soirées inoubliables, les amitiés tissées, les étoiles dans le ciel, les après-midis sur la plage… Nous détestons le travail gratuit, les insultes, les blessures, les crises psychologiques, la pression, les journées et les semaines qui ne terminent plus… Ce n’est pas eux et elles qui rendent nos saisons inoubliables, mais vous. Combien parmi vous avez déjà fantasmé, plusieurs heures durant, mille et une façons de torturer votre contremaître? Ils et elles ne font rien d’autre que nous contraindre à l’expérience de la souffrance et de l’indignité. Des choses qui contribuent à nous souder davantage, mais qui n’est pas notre plaisir en soi.

Les contremaîtres ne sont pas nos allié-es. Ils et elles sont des agents à la solde des compagnies. Le système de rémunération basé sur la production des planteurs et le respect des objectifs de production ne fait qu’agir en tant qu’incitatif à notre exploitation. Le mythe très répandu que les contremaîtres prennent davantage soin de nous lorsqu’ils et elles sont rémunéré-es ainsi est une chose qu’on ne cesse de se répéter. Mais, est-ce vraiment la réalité? La distribution inéquitable des terrains, les avertissements abusifs lorsque la production est trop basse, la pression à dépasser nos limites physiques et mentales semblent démontrer le contraire. Si ce n’est tout simplement pas un travail bâclé pendant que nous payons leurs salaires. N’oublions pas que les contremaîtres ne travaillent pas pour nous, mais c’est nous qui travaillons pour eux et elles.

Et maintenant quoi?

Nous devons cesser de nous plaindre chacun et chacune de notre côté. Cela ne nous permet que de nous réconforter alors que nous chutons toujours vers l’enfer.

Les deux solutions les plus souvent apporter ne nous mèneront nulle part. La première voudrait que les compagnies se rejoignent à une table de discussion pour s’accorder sur prix minimum pour l’industrie en deçà duquel elles ne se feraient pas la compétition. Aussi bien rester dans la passivité et prier que l’argent pousse de nos arbres. L’autre solution serait de former une coopérative. Dans ce modèle, nous aurions effectivement le contrôle de nos conditions de travail, mais nous serions toujours soumis à la dynamique du marché. Le prix de l’arbre devra rester compétitif pour nous permettre d’obtenir les contrats. Ces coopératives demeureront très petites puisqu’elles ne pourront pas se tailler une place dans le marché. Alors qu’en est-il de l’immense majorité de la main d’œuvre qui demeure prisonnière des rookie mills?

L’organisation est la clé

Il nous reste encore une solution : le syndicalisme de solidarité. La seule façon d’améliorer nos conditions de travail, c’est en bâtissant un rapport de force en notre faveur. Pour cela, il faut être solidaire face aux abus patronaux. La plus grande objection faite à l’arrivée d’un syndicat est qu’il ne comprendrait pas la réalité de notre travail et nos besoins. Nous ne ferions que payer des cotisations pour un syndicat qui ne nous représenterait pas. Notre rapport au syndicalisme a été perverti par des centrales syndicales qui aujourd’hui semblent agir plus en tant qu’arme du patronat que comme l’arme de la classe ouvrière. Et pourtant, le syndicalisme est une forme de lutte. Une pratique qui peut être horizontale et sans représentation autre que nous même. Nous pouvons mener cette lutte et faire les gains que nous choisirons collectivement: l’IWW, c’est ce syndicat-là. Des travailleurs et travailleuses qui ont choisi de se réunir, peu importe l’industrie pour organiser leur milieu de travail avec un modèle de syndicalisme qui n’échapperait pas à leur contrôle. Nous serons notre syndicat et personne d’autre.

Notre précarité est plus grande de saison en saison, il faut agir maintenant! Ce texte ne fera pas l’unanimité dans la communauté, comme toutes les publications sur le groupe King Kong Re-forestation dénonçant nos conditions. Certains et certaines voudront nous régurgiter leur culte du highballer. Pourtant cela n’est-il pas le signe d’un malaise profond? Réunissons-nous dès maintenant pour organiser la riposte. Ceux et celles qui souhaitent s’organiser, prenez contact avec nous!

 

Solidairement,

X377547

 

In english.

 

Crédit photo de couverture: http://www.macleans.ca/news/canada/into-the-wild/

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